Le civet de lièvre est un plat classique, décliné en multiples versions. Nous vous proposons donc nos recettes de référence.
Roger Vaultier en propose plusieurs dans son recueil Chasseurs et gourmets, que nous vous livrons avec celle d’Édouard de Pomiane
(que vous pouvez aussi écouter sur notre podcast Radio Cuisine).
Extraits de Chasseurs et gourmets de Roger Vaultier
Le civet de lièvre est un plat classique dont les anciens traités nous donnent des formules, en général très simples. Au grand siècle, l’animal découpé est empoté avec du bouillon, du vin, du vinaigre, un oignon et accompagné de sauce verte. Un auteur du temps de Louis XIV, dans ses conseils aux maîtres queux, a écrit au sujet de cette préparation cette phrase fort amusante : « Le lapin demande à être écorché vif ; le lièvre préfère attendre. » Mais ne relevons pas les naïvetés de ces vieux livres, empruntons-leur plutôt cet apprêt du lièvre en civet, préparé alors dans la grande cheminée, devant l’âtre rougeoyant, au lent ronronnement du tournebroche.
Le lièvre en civet
« Dépouillez un gros lièvre, faites le refaire, et lui ôtez le reste de ses peaux, tant sur les cuisses que sur le filet. Faites-le piquer de lard un peu consistant. Ensuite vous le faites mariner pendant trois heures au moins dans un vaisseau de sa longueur, avec un demi-setier de vinaigre, sel, clous, laurier, basilic, tranches d’oignon et un bon morceau de beurre, le tout ensemble. Ensuite, vous l’embrochez. Quand le lièvre est gros, mettez les cuisses et le râble à la broche, vous coupez le reste par morceaux. Mettez dans une casserole du lard fondu ou beurre. Faites-le bien chauffer et mettez-y votre lièvre. Remuez de temps en temps et couvrez-le pour qu’il cuise mieux. Étant à moitié passé, vous y mettrez une douzaine d’oignons, du sel, du poivre, deux ou trois feuilles de laurier, un oignon piqué de deux clous de girofle. Achevez de passer, ensuite vous le singez un peu et mouillez-le de son sang que vous aurez conservé, avec une bouteille de vin et de l’eau. Faites cuire à petit feu. Le civet veut être d’un goût relevé et bien noir. On peut le garnir de croûtons. »
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Après la célébrité des tréteaux, passons à une célébrité de la politique avec le civet de lièvre à la façon d’Aristide Briand ainsi codifié par E. Nignon :
Civet de lièvre à la façon
d’Aristide Briand
« Coupez votre lièvre en morceaux réguliers, que vous ferez revenir au beurre ; ajoutez-y quand ils seront bien dorés, une douzaine de petits morceaux de lard de poitrine et 3 oignons moyens. Ajoutez encore cinq gousses d’ail écrasées. Mouillez d’assez de mâcon rouge et de bouillon de bœuf pour en couvrir entièrement les chairs. Assaisonnez de thym, de laurier, de 12 échalotes et d’un bouquet garni de persil. Puis à feu doux faites cuire pendant 3 heures.
« Enlevez alors les morceaux de lièvre ; placez-les dans un pot à tripes bas, avec le lard, 24 beaux champignons, 6 autres gousses d’ail et 24 échalotes émincées. Passez la sauce par-dessus, et pendant 6 heures, faites cuire encore votre civet dans un four de campagne où vous l’enfermerez hermétiquement.
« Il faut que la viande soit très fondante. Quant à la sauce, vous la lierez avec le sang du lièvre et le foie finement haché. » (B. Guégan, Le cuisinier français, Emile-Paul, éditeur).
L’homme d’État qui dirigea si longtemps nos affaires étrangères tenait, paraît-il, ses interlocuteurs sous son charme ; après l’ingestion de ce plat, il devait également leur soufflet des effluves alliacés…
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D’Aunis en Angoumois le chemin n’est pas long, mais il le parait encore trop aux amateurs de ce civet de lièvre à l’angoumoise dont la recette nous a été transmise par notre bon maître Cur Ier et son fidèle Rouff :
Civet de lièvre à l’angoumoise
« Mettez dans une assiette, 50 g de beurre et 100 g de lard de poitrine coupé en très petits dés. Lorsque le lard est fondu et bien doré, égouttez-le sur une assiette et faites revenir, dans la graisse, quatre gros oignons. Laissez cuire doucement sur le côté du fourneau.
« Dans un autre récipient, faites revenir, au beurre bien chaud, les morceaux de lièvre, que vous égouttez au fur et à mesure, et placez dans la casserole contenant les oignons.
« Tout le lièvre étant revenu, mouillez-le avec deux cuillerées à soupe de vinaigre de vin, quatre cuillerées ou 100 g de gelée de groseilles, ½ litre d vin blanc ou rouge à volonté, une feuille de laurier, une brindille de thym et quelques baies de genévriers, 25 grammes de poivre fraîchement moulu. Ajoutez les lardons.
« Laissez mijoter très lentement deux ou trois heures en couvrant bien le récipient avec un plat creux contenant de l’eau froide, pour empêcher toute évaporation. La cuisson varie suivant le degré de tendreté du lièvre.
« Dans le beurre où a revenu le lièvre, faites glacer de tout petits oignons (15 à 20 environ), mouillez-les à hauteur avec de l’eau, salez et mettez un petit morceau de sucre. Laissez cuire doucement pour réduire tout le liquide qui doit glacer les oignons.
« Au moment de servir, placez les morceaux de lièvre sur un plat ; dans la sauce bouillante, versez en remuant le sang du lièvre qui épaissira la sauce. Ne laissez pas bouillir, rectifiez l’assaisonnement, ajoutez 50 g de beurre et versez sur le plat.
« Par-dessus le tout, placez les petits oignons glacés et servez chaud. »
Le civet de lièvre par Édouard de Pomiane
Extrait de Radio Cuisine
En relisant les épreuves du livre dans lequel j’ai réuni mes chroniques gastronomiques, je m’aperçois d’une omission qui frise le sacrilège. J’ai oublié de vous parler du civet de lièvre. Je vous ai décrit des formules savantes de lièvre à la crème, de râble de lièvre au four, de pâtés de lièvre compliqués et je ne vous ai pas dit comment on fait le civet. Mais, je me console, car je suis convaincu, avec juste raison, que toute Française sait faire un civet. Le civet est notre plat national. Nulle part au monde on ne fait cuire le lièvre ou le lapin avec leur sang, avec notre vin rouge qui s’harmonise si bien avec leur chair, avec aussi le petit verre de cognac qui donne au civet son titre de noblesse.
Je viens de manger, il y a une semaine, en Angleterre, du lièvre bouilli. Est-ce mauvais ? Je n’ose pas dire oui ; mais je dis que cette préparation est insuffisante pour nos palais français habitués à être mieux impressionnés.
Le civet qui mijote dans la casserole parfume toute la maison. Pour manger un civet de lièvre, on invite toujours son meilleur ami et on réserve toujours ses deux meilleures bouteilles ; l’une pour la casserole, l’autre pour verser dans les verres.
Je vais donc faire un civet de lièvre. L’animal dont je dispose n’est ni trop gros, ni trop petit. Il a été tué dimanche et il a été tué proprement, noblement ; il n’a pas été abattu à bout portant. Les plombs ont fait sur son pelage des traces imperceptibles.
Voici pourquoi je me suis permis de laisser le lièvre se « faisander » depuis cinq jours, à la fenêtre de ma cuisine. S’il avait été délabré, je l’aurais mangé lundi ou mardi, au plus tard.
J’écorche l’animal, je le vide. Vais-je le découper, de suite, en morceaux ? Non, je recherche les points où se sont produites les hémorragies. Je retire les caillots de sang et je les conserve précieusement dans une tasse. J’y ajoute le foie que j’extrais avec les doigts. Puis, à l’aide d’un couteau pointu qui coupe très bien, j’enlève les aponévroses, ces tissus blanchâtres qui couvrent le râble et les cuisses. Si je les laissais, les morceaux de viande resteraient coriaces après la cuisson. Je désarticule les cuisses et les épaules, puis à l’aide d’un couperet et d’un maillet de bois, je découpe le râble en tronçons. Mais pour faire un civet, un lièvre et une bouteille de vin ne suffisent pas. Il faut encore :
Farine 40 grammes
Oignons 125 grammes
Gousse d’ail 1
Bouquet de thym 1
Champignons blancs 200 grammes
Bouquet de persil 1
Lard gras 100 grammes
Beurre 60 grammes
Je prends une grande cocotte de fonte. Je la pose sur le feu. J’y place le beurre et le lard coupé en morceaux. Je chauffe. Le beurre fond ; le lard aussi. Je dispose les morceaux de lièvre dans le fond de la cocotte. Je les laisse perdre leur couleur rouge. Ils deviennent grisâtres, puis ils commencent à rissoler. Dix bonnes minutes se sont passées. J’ajoute les oignons et l’ail coupés menu. Je chauffe cinq minutes, je saupoudre avec toute la farine.
Je mobilise les morceaux pour les enduire tous de farine.
Je chauffe cinq minutes ; j’ajoute le persil, le thym et je verse sur le tout une bouteille de mon meilleur vin rouge. Hélas ! ce n’est que du beaujolais. Je sale, je poivre.
Je couvre le récipient, je laisse bouillir à grand feu. Le vin s’évapore en partie. La sauce épaissit. J’ajoute les champignons coupés en lamelles. Combien de temps vais-je laisser cuire ? Si j’écoute le conseil des uns, ce sera cinq heures. D’autres me vantent le civet cuit durant trois heures.
Je n’écoute personne et je n’attends pas que la viande soit réduite en purée. Le civet a cuit deux heures ; la viande commence à se détacher des os. Elle est donc cuite.
Mais le civet n’est pas fini. Je broie le foie et les caillots de sang dans la machine à hacher. J’y fais passer un peu de mie de pain pour récupérer tout le foie… C’est fait.
Dans la marmite je verse deux petits verres de ma bonne fine champagne. Je laisse mijoter cinq minutes.
J’ajoute alors la bouillie de foie et de sang. Je mélange. Je laisse bouillir une minute. Je transvase dans un plat creux. Je verse le beaujolais dans les verres et je contemple la mine réjouie de mes invités.
Je voudrais être millionnaire pour faire un civet de lièvre au chambertin !
Écouter la lecture du civet de lièvre d’Édouard de Pomiane
dans notre podcast Radio Cuisine.