Bonjour,
Cette semaine, je voudrais partager avec vous un extrait du roman Ravage, de René Barjavel, paru en 1943. Ravage est un roman de science-fiction post-apocalyptique. Dans cet extrait – qui m’a fortement troublé – il y est question du repas que prend, en 2052, dans un restaurant parisien, François Deschamps, le jeune héros du roman.
“François poussa la porte de la Brasserie, 13, boulevard Saint-Germain. Un garçon surgit, déposa d’autorité devant lui un plat fumant. Il était de tradition dans cet établissement de manger le bifteck-frites, et tout client s’en voyait automatiquement servir une généreuse portion. François mangea de bon appétit. Fils de paysan, il préférait les nourritures naturelles, mais comment vivre à Paris sans s’habituer à la viande chimique, aux légumes industriels ?
L’humanité ne cultivait presque plus rien en terre. Légumes, céréales, fleurs, tout cela poussait à l’usine, dans des bacs. Les végétaux trouvaient là, dans l’eau additionnée des produits chimiques nécessaires, une nourriture bien plus riche et plus facile à assimiler que celle dispensée chichement par la marâtre nature. Des ondes et des lumières de couleurs et d’intensités calculées, des atmosphères conditionnées accéléraient la croissance des plantes et permettaient d’obtenir à l’abri des intempéries saisonnières, des récoltes continues, du 1er janvier au 31 décembre.
L’élevage, cette horreur, avait disparu également. Le bétail n’existait plus. La viande était cultivée sous la direction de chimistes spécialisés et selon des méthodes mises au point et industrialisées. Le produit de cette fabrication était une viande parfaite, tendre, sans tendons ni peaux, ni graisses, et d’une variété de goûts. Non seulement l’industrie offrait aux consommateurs des viandes au goût de bœuf, de veau, de chevreuil, de faisan, de pigeon, de chardonnet, d’antilope, de girafe, de pied d’éléphant, d’ours, de chamois, de lapin, d’oie, de poulet, de lion, et de mille autres variétés, servies en tranches épaisses et saignantes à souhait, mais encore des firmes spécialisées, à l’avant garde de la gastronomie, produisaient des viandes extraordinaires qui, cuite à l’eau ou grillées, sans autre addition qu’une pincée de sel, rappelaient par leur fumet les préparations les plus fameuses de la cuisine traditionnelle, depuis le simple bœuf miroton jusqu’au lièvre à la Royale.
Pour les raffinés, une maison célèbre fabriquait des viandes à goût de fruits ou de confiture, à parfum de fleurs.
La Brasserie 13 n’était qu’une succursale de la célèbre usine du bifteck-frites qui connaissait une grande prospérité. Il n’était une boucherie parisienne qui ne vendît son plat populaire. Le sous-sol abritait l’immense bac à sérum où plongeait la “mère”, bloc de viande de près de cinq cents tonnes. Un dispositif automatique la taillait en forme de cube, et lui coupait toutes les heures une tranche gigantesque sur chaque face. Elle repoussait indéfiniment. Une galerie courait autour du bac. Le dimanche, le bon peuple consommateur était admis à y circuler. Il jetait un coup d’œil attendri à la “mère” et remontait à la Brasserie en déguster un morceau garni de graines de soja géant, coupées en tranches et frites à l’huile de houille. La fameuse bière 13, tirée de l’argile, coulait à flots.
François, son bifteck achevé, se fit servir une omelette et un entremets au lait.”
Aujourd’hui, la réalité a rattrapé la fiction avec 30 ans d’avance… Les viandes de synthèse que nous proposent déjà (en 2021) certains industriels comme Impossible Food sont présentées comme une formidable avancée pour sauver la planète (ce qui est archi faux et j’y reviendrai en détail très prochainement). Le sujet d’un roman de science-fiction post-apocalyptique est en passe de devenir par la magie des pseudo bons sentiments (et de beaux gros mensonges) un avenir radieux…
L’alimentation est certes un enjeu majeur des prochaines décennies face aux conséquences du réchauffement climatique. On en parle peu, mais pourtant, l’agriculture et l’élevage font aujourd’hui partie des solutions les plus efficaces pour lutter efficacement contre les émissions de gaz à effet de serre. Et nul besoin de viande de synthèse pour cela. Nous en reparlerons très prochainement.
Ne voulant pas vous laisser sur ce constat pessimiste et parce que la météo de cette semaine n’est pas tip top, je me suis dit qu’un petit riz au lait pourrait nous remonter le moral. Alors voici (en vidéo) la recette super simple et super bonne d’Olivier Arlot, chef tourangeot.
Un exquis mot à déguster
La définition de cette semaine a, je dois l’avouer, peu de rapport avec la gastronomie, mais je suis tombé dessus par hasard en faisant mes recherches pour le prochain numéro d’Agueusie (le numéro 4 vient à peine de paraître que l’on travaille déjà sur le prochain). Et je dois dire que j’ai eu un petit coup de cœur pour ce mot.
Chape-chute
sub. fém.
Bonne aubaine due à la négligence ou au malheur d’autrui.
Un villagois avait à l’écart son logis ; messir loup attendait chape-chute à la porte,
La Fontaine Fabl. IV.
E. Littré. Dictionnaire de la langue française
Il existe également un verbe “chape-chuter” qui signifie faire un léger bruit.
J’entendis chape-chuter tout bas derrière une grosse cépée.
Des nouvelles des petits fretins
Voici, enfin, quelques nouvelles des petits fretins. Mardi prochain, notre prochaine publication sera disponible en précommande sur notre site. C’est une Archive Nutritive qui devrait vous empêcher de dormir quelques temps. Vous en saurez plus mardi…
Sinon, l’épisode de Radio Cuisine – podcast qui donne à réentendre les chroniques radiophoniques qu’Édouard de Pomiane présentait sur Radio Paris entre 1923 et 1929 – de vendredi dernier avait pour sujet “La tarte aux fraises”, celui de demain évoquera “Le temps des cerises” et la semaine prochaine il sera question de
“La rhubarbe”. Vous y apprendrez à vous méfier de ses feuilles car comme dans cet anecdote que nous conte Édouard de Pomiane : “Un jour, pendant la guerre, à court d’aliments végétaux, j’avais préparé pour les infirmiers de mon ambulance, et pour moi, un plat fort copieux d’épinards, dans lequel les épinards étaient remplacés par des feuilles de rhubarbe. Il s’en suivit une colique générale. Défiez-vous donc de ces feuilles. On a cité des cas d’intoxication très graves survenant après leur ingestion.”
Pour terminer, une petite citation d’Alexandre Balthazar Laurent Grimod de La Reynière, (1758-1837), inventeur de la critique gastronomique, et notre maître à tous :
“Les vrais gourmands ont toujours achevé leur dîner avant le dessert.
Ce qu’ils mangent par-delà le rôti n’est que de simple politesse ; mais ils sont en général très polis.”
Voilà, c’est tout pour cette fois.
À la revoyure !
Laurent, poisson chape-chuteur chez Menu Fretin