Bonjour,
Aujourd’hui, avant la trève des confiseurs et des réveillons où l’on se couche tard, je voudrais vous parler d’un curieux café qui laisse dormir que j’ai découvert dans Le Pot-au-feu.
Le Pot-au-feu (Journal de Cuisine pratique et d’économie domestique) est une revue bimensuelle dont le n° 3 de la neuvième année (1er février 1901) contient un fort passionnant article intitulé : « Un café qui laisse dormir ». Rédigé par un certain Dutuyau, ce texte nous narre la découverte par l’explorateur Humblot d’une nouvelle espèce de café dans l’île de la grande Comore. Cette espèce fut dénommée Coffea Humblotiana en l’honneur de son découvreur. Mais c’est grâce à un savant, M. Gabriel Bertrand, que fut mise à jour la particularité extraordinaire de ce café. C’est dans la nouvelle annexe de l’Institut Pasteur que fut donc faite cette découverte. Là, « on y écorchera moins de lapins qu’en face, et on y cultivera sans doute moins de microbes ; mais on y travaillera tout autant en appliquant les ressources de la chimie à découvrir la structure intime de l’universalité des êtres organisés. »
M. Bertrand « a donc analysé le café de M. Humblot et il a constaté – ô prodige – l’absence complète de caféine. » Un déca naturel en quelque sorte. Un article de 1937 publié dans la Revue de botanique appliquée et d’agriculture coloniale fait d’ailleurs écho de plusieurs variétés de café ne contenant aucune caféine. Mais revenons à notre café Humblot. M. Dutuyau précise à la fin de son article, « pour être complet, je dois avouer qu’il (le café) a flatté médiocrement mon palais. Non seulement on ne saurait le comparer au café carvalho, mais je crois que je lui préfère encore le café extrait de nos boutons de culotte. Car personne n’ignore que le corozo – dont on fait tant de boutons – réduit en poudre et torréfié, donne une infusion que certaines familles économes trouvent supérieure à celle du moka ». Le corozo, également appelé ivoire végétal ou targua, est le fruit d’un palmier d’Amérique du sud. Ce sont les Allemands qui l’importèrent en Europe pour fabriquer des boutons. Après la Seconde Guerre mondiale, la concurrence du plastique fit hélas tomber le corozo en désuétude. Allez donc faire du café avec un bouton en plastique…
Une recette
Dans La Table au Pays de Brillat-Savarin de Lucien Tendret, paru en 1892, on trouve un très beau texte intitulé “Traité du bouillon de bœuf”, parce que, comme tout le monde le sait le pot-au-feu n’est pas qu’une revue gourmande.
“La succulence des sauces dépend de la qualité du beurre, du bouillon et du jus de viande employés ; il est donc important de ne pas ignorer les règles de la conduite du pot au feu et de la préparation du jus. Carême dit « que nous devons considérer le bœuf comme l’âme de la cuisine ». Les morceaux de choix pour le bouillon sont ceux de la partie supérieure de la cuisse. Voici les indications de M. Gouffé pour reconnaître si la viande est de bonne ou de mauvaise qualité. « Pour le bœuf, la viande doit être d’un ton amaranthe très vif, la graisse d’un jaune très clair rappelant le beurre fin, dure et résistant sous le doigt ; la graisse molle, peu abondante, la teinte brune et livide, sont les indices infaillibles d’un bœuf de qualité inférieure. »
Le meilleur bouillon s’obtient en employant de la viande très fraîche. Le choix du vase pour la cuire n’est point indifférent ; ceux de terre, après peu de temps, communiquent au bouillon un goût de graisse rance ; ceux de cuivre n’ont point cet inconvénient, ils sont préférables, mais il faut les nettoyer et les tenir en bon état. L’excellence du bouillon n’est pas due seulement à la quantité de la viande dont il est extrait, mais à la manière dont la cuisson est dirigée. Mettez quatre livres de viande et cinq litres d’eau dans la marmite de cuivre. L’eau de rivière ou de source doit être employée, celle de puits rend la viande dure, moins sapide et moins odorante. Placez le pot au feu sur les charbons allumés, faites en sorte que l’eau s’échauffe lentement et graduellement pour dilater les fibres musculaires et dissoudre l’osmazôme qu’ils contiennent. Il doit s’écouler près de trois quarts d’heure entre le moment où la marmite a été mise sur le feu et celui où l’albumine monte et se coagule à la surface du liquide. On l’écume alors, et on modère le feu pour que la température n’arrive pas à l’ébullition ; autrement l’albumine se mélange à l’eau, et le bouillon n’est ni blanc ni limpide. Une nouvelle nappe d’écume ne tarde pas à paraître, on l’enlève encore, et on procède de la même manière autant de fois qu’il est nécessaire. Le pot au feu étant débarrassé de cette substance, assaisonnez de dix grammes de sel par livre de viande, ajoutez un bouquet de poireaux, trois carottes de moyenne grosseur et une gousse d’ail ; les choux, les navets, les oignons, contenant du soufre à l’état sulphydrique, nuisent au goût et à la limpidité du bouillon. Faites mijoter pendant six heures sans que la marmite soit complètement couverte, retirez la viande et dégraissez le bouillon ; s’il doit être conservé, le passez à l’étamine, le versez dans un vase de terre ou de porcelaine, le placez à l’abri des mouches dans un lieu frais et le tenez découvert.
Ne mettez pas de la viande de veau dans le pot au feu, elle blanchit et affadit le bouillon ; placez-y un poulet, et vous obtiendrez un consommé plus riche et plus délicat. Non seulement les os n’ajoutent rien au bouillon, mais ils absorbent les sucs les plus nutritifs. Ils sont composés de phosphate de chaux et de gélatine, substance sans saveur et sans utilité pour l’alimentation. Si l’on place des os dans le pot au feu, la gélatine dont les pores sont remplis est dissoute, et lorsqu’ils sont vides, ils se garnissent des sucs de viande tenus en suspension dans le liquide. Excluez le jarret de bœuf, il forme une colle onctueuse et épaisse, le bouillon doit être clair et limpide comme l’eau de roche ; n’y mêlez ni sucre caramélisé ni oignon brûlé, ces substances altèrent sa couleur et son arôme naturels. Peu d’eau, beaucoup de viande, cuisson lente et prolongée, telles sont les règles à observer pour avoir un bouillon corsé et d’un goût parfait.”
Un exquis mot
La définition de cette semaine est extraite du Dictionnaire universel de cuisine pratique de Joseph Favre (1905).
Corozo
subst. masc.
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Palmier épineux, commun sur les bords de l’Orénoque. On abat le corozo pour lui faire rendre sa liqueur, qui reste douce pendant deux jours et fermente ensuite.
Radio Cuisine
Dans notre podcast Radio Cuisine, vous pouvez toujours écouter l’épisode “Menus de réveillon” de la semaine dernière, lu par Ryoko Sekiguchi. Il sera question de “Bûche de Noël” demain, et de “Foie gras et pâté de foie” la semaine prochaine. Tous les épisodes sont disponibles sur notre site ou sur vos plateformes préférées (Deezer, Spotify, Apple podcast, Google podcasts…).
Et pour finir, une petite petite citation de Jonathan Swift à méditer en cette période de festivités culinaires :
“Celui-là a eu du courage, qui a été le premier à manger une huître.”
Voilà, c’est tout pour cette année. Je vous souhaite de passer de bonne fêtes.
À la revoyure !
Laurent, poisson fumé chez Menu Fretin