Bonjour,
Lorsque j’étais enfant, mon père acheta aux puces des gravures d’Albrecht Dürer (1471-1528). Était-ce des copies ou des originaux, je ne l’ai jamais su. En revanche, ces trois gravures ont toujours été accrochées fièrement dans le couloir de notre appartement, et ont ainsi fait partie intégrante de mon imaginaire.
Je suis récemment tombé sur une autre gravure de Dürer intitulée Saint Jean dévorant le livre. Dévorer un livre, quel concept merveilleux pour un éditeur de livres de gastronomie. J’ai cherché à en savoir davantage sur cette histoire d’ingestion du livre. Voici ce que raconte à ce propos l’Apocalypse de Saint Jean :
“La voix du ciel, que j’avais entendue, me parla de nouveau : “Va prendre le petit livre ouvert dans la main de l’Ange debout sur la mer et sur la terre”. Je m’en fus alors prier l’Ange de me remettre le petit livre et lui me dit : “Tiens, mange-le, il te remplira les entrailles d’amertume, mais en ta bouche il aura la douceur du miel.” Je pris le petit livre de la main de l’Ange et l’avalai, dans ma bouche, il y avait la douceur du miel, mais quand je l’eus mangé, il remplit mes entrailles d’amertume.”
Cette idée qui consiste à ingérer la parole divine pour mieux l’assimiler et ainsi parvenir à la connaissance n’est pas, selon les spécialistes, une invention chrétienne. En effet, dans la plupart des cultures méditerranéennes de l’Antiquité, on imagine que la sagesse divine peut être communiquée aux homme par l’ingestion d’un texte sacré.
Ainsi, en Égypte, un certain Nofrekôptah qui avait volé au dieu Thot le livre du savoir expliqua à sa sœur qu’il suffit de recopier les mots présents sur le papyrus, de les dissoudre dans de la bière, de boire cette dernière pour en ingérer la puissance.
Ces différentes histoires d’iconophagie doivent nous permettre de prendre conscience que l’imaginaire et les mythes font partie intégrante de nos choix alimentaires.
C’est, assez régulièrement, une “pensée magique” qui nous fait choisir d’ingérer
(ou non) tel ou tel aliment. Car, au-delà de la simple nécessité de manger pour vivre, nous choisissons nos aliments en fonction de critères essentiellement irrationnels mais pourtant très essentiels.
Nous sommes ce que nous mangeons…
Une recette
La recette de cette semaine est extraite de L’heptaméron des gourmets ou les délices de la cuisine française d’Edouard Nignon. Elle est toute simple et simplement délicieuse.
Les tartelettes mousseline
Foncez douze moules à tartelettes de rognures de feuilletage ; piquez bien le fond pour que la pâte ne se lève pas, saupoudrez-en l’intérieur de parmesan râpé, puis, légèrement, arrosez-les de beurre fondu à peine chaud.
D’autre part, cassez dans une terrine six œufs bien frais comme pour une omelette ; assaisonnez-les de sel et de poivre et de vingt grammes de parmesan râpé. Battez longuement, ajoutez un demi-litre de crème double ; passez ensuite votre appareil à la mousseline et garnissez-en les moules que vous cuirez à feu doux, sur une plaque, pendant trente minutes. Terminez la cuisson à l’étuve, démoulez sur une serviette et servez vos tartelettes toutes chaudes.
Un exquis mot
La définition de cette semaine est extraite du Dictionnaire universel d’Antoine Furetière (1619-1688).
Livre
sub. masc.
~
Travail ou composition que fait un savant, ou un homme d’esprit pour faire part au public ou à la postérité, de ce qu’il a appris, recueilli, inventé, ou expérimenté.
Mais afin que ce travail, cette composition puisse porter le nom de livre, il faut qu’elle soit d’assez grande étendue pour en faire un volume. […]
On dit qu’un homme connaît bien les livres, non seulement quand il en sait le prix, comme un libraire, qui ne connaît les livres que par la couverture, et qui n’apprend que les titres des livres, mais encore quand il sait ce que contient les livres, lorsqu’il a bien mis le nez dans les livres, qu’il a longtemps feuilleté les livres. On dit qu’un homme est toujours sur les livres, pour dire qu’il étudie beaucoup. On dit aussi qu’il dévore les livres pour dire qu’il les lit avec beaucoup d’application et de promptitude.
Des nouvelles des petits fretins
Vendredi en huit, nous serons le premier avril, jour du poisson. À ce propos, voici ce qu’Alexandre Dumas écrivait dans son Grand Dictionnaire de Cuisine : “Certains étymologistes croient que l’on disait passion d’avril, en mémoire de la passion de Jésus-Christ qui arriva le 3 avril, et que la corruption du langage en a fait poisson d’avril.”
La tradition qui consiste, le 1er avril, à faire des blagues et à accrocher des poissons dans le dos de ses petits camarades pourrait trouver son origine dans une étrange coutume que nous conte Dumas à propos du hareng : “Il subsistait encore au XVIe siècle un usage assez bizarre parmi les chanoines de la cathédrale de Reims.
Le mercredi saint, après les ténèbres, ils allaient processionnellement à l’église de Saint-Rémi, rangés sur deux files, chacun d’eux traînant derrière soi un hareng attaché à une corde. Chaque chanoine était occupé à marcher sur le hareng de celui qui le précédait et à sauver le sien des surprises du suivant. Cet usage extravagant ne put être supprimé qu’avec la procession.”
Afin de renouveler ce genre de traditions, je vous propose pour le premier avril qui vient d’accrocher dans le dos de vos camarades, non pas un dessin de poisson ou un hareng, mais un livre de Menu Fretin…
Pour finir une petite citation d’Étienne de La Boétie (1530-1563) :
“J’aime ce qui me nourrit : le boire, le manger, les livres.”
Voilà, c’est tout pour aujourd’hui.
À la revoyure !
Laurent, hareng chez Menu Fretin