Bonjour,
Dans 9 jours, nous fêterons Pâques (le 17 avril). Quelques soient ses propres croyances, il est évident que l’on ne peut échapper, en France, à l’influence de l’église catholique. Preuve en est, le fait que le lundi de Pâques soit férié pour tous quelque soit sa religion. Loin de moi l’idée d’un quelconque prosélytisme, mais juste l’envie de renforcer l’idée – qui plus est en cette période d’élection présidentielle – que notre gastronomie est à l’image de notre société. À savoir : “catholique, aristocratique et centralisée”. Encore, une fois, il ne s’agit pas d’un jugement de valeur, mais d’une constatation neutre des faits. Et je reste bien évidement à l’écoute de vos remarques et à votre disposition pour en débattre.
Ceci dit et pour compléter mon propos, je voulais partager avec vous un extrait de La Cuisine de tous les mois de Philéas Gilbert, publié en 1883. Il concerne le mois d’avril et il y est justement question de Pâques et de nourriture. Ce qui tombe bien, vous l’admettrez.
“Avec ce mois revient le temps pascal, fêté par toute la chrétienté, et qui clôt la série des jours maigres. Si les fêtes de Pâques ont perdu en France une partie de leur éclat d’autrefois, elles n’en restent pas moins motif à des réunions de famille et à des repas, dans lesquels apparaît sous diverses formes le tendre et symbolique agneau.”
Les relations des cuisiniers qui ont habité la Russie nous initient à de bien curieux détails, qui caractérisent les Pâques russes, toujours religieusement observées.
D’après un usage immémorial, un repas spécial appelé “le Béni”, et qui équivaut à notre réveillon, a lieu au sortir de la messe célébrée dans la nuit du samedi saint.
Chez le grand seigneur aussi bien que chez le dernier des moujiks, on fête le Béni, suivant, bien entendu, les moyens dont on dispose ici et là.
La caractéristique absolue de ce repas est que les convives mangent debout, et que tous les mets qui le composent doivent être bénis par le pope. En plus, l’emploi du sel purifié est strictement de rigueur pour leur préparation.
À cet effet le sel est pilé, détrempé avec des blancs d’œufs, de façon à former une pâte ; enfermé dans un linge, et jeté dans le feu pendant quelques heures. Au bout de ce temps, il ne reste plus aucune apparence de linge, mais simplement un morceau de sel, qui est pilé à nouveau et passé au tamis.
Les mets principaux, et presque tous froids, sont : les agneaux farcis, les jambons et volailles ; le koulistche, gâteau qui a une certaine analogie avec le baba, et les pasquas, ou gâteaux au fromage.
On sert aussi des œufs teintés de diverses couleurs, sur lesquels est gravée une devise signifiant : Le Christ est ressuscité.
L’usage des œufs s’est également conservé en France, et on rechercherait en vain l’origine, qui n’aurait d’autre explication plausible que celle-ci : les commandements du carême, si strictement observés jadis, défendaient l’usage des œufs, qui n’était permis que dans des cas spéciaux, et en vertu des tolérances particulières.
En signe d’allégresse, et pour saluer les jours qui en rétablissaient l’usage, les œufs étaient teintés de diverses couleurs, et il était de coutume de s’offrir réciproquement ces œufs qui furent dénommés, et sont restés dénommés “les œufs de Pâques”.
Les productions spéciales du mois sont, avec l’agneau, les jambons, qui sont à leur apogée ; les viandes de boucherie sont toujours excellentes, seule la volaille commence à laisser à désirer et nécessite dans son choix une attention minutieuse.
Comme productions végétales, les pommes de terre et les carottes nouvelles font leur apparition, ainsi que les asperges et les premières fraises, avant-garde du printemps,
ce qui fait dire au poète :
Voici l’Avril, voici la Fraise,
La reine des entremets ;
Dégustez-la tout à votre aise,
Heureux gourmets.
Voici la Fraise.
Parmi les poissons, ceux du moment sont l’alose et le maquereau.”
Puisqu’il était question des œufs de Pâques, j’en profite pour vous faire part de quelques informations insolites que j’ai glaner dans un ouvrage de Philippe Walter, intitulé “Mythologie chrétienne”. Voici ce qu’on peut y lire : “ Dans le folklore, les œufs de Pâques, surtout ceux qui avaient été pondu le vendredi saint, étaient jadis réputés procurer la santé aux hommes et aux bêtes. Ils pouvaient se conserver longtemps et protégeaient également de la foudre. On s’en servait également pour reconnaitre les sorcières ou pour se prémunir contre elles. […] Dans certaines régions d’Alsace, on pense que , dans un oeuf de Pâques qui s’est conservé pendant cent ans, le jaune se transforme en pierre précieuse et assure la fortune de son possesseur.”
Une recette
La recette de cette semaine est également extraite de La Cuisine de tous les mois par Philéas Gilbert . Si elle nécessite des œufs, elle ne concerne pas le mois d’avril puisqu’elle s’intitule mars… 😉
Mars
Abaisser un morceau de rognures de feuilletage en forme de bande, à laquelle on donnera une longueur de 50 centimètres sur 10 à 12 de largeur et un demi d’épaisseur. Placer cette bande sur une plaque, en relever légèrement les bords avec les doigts, la piquer, et la garnir d’une épaisseur d’un centimètre de crème frangipane aux amandes.
Cuire cette bande à four doux.
D’autre part, prendre en neige très ferme 6 blancs d’œufs ; et leur incorporer 250 grammes de sucre en poudre et dresser cette meringue d’amandes effilées et de glace de sucre, puis diviser la bande en morceaux de 4 centimètres de largeur.
Ranger ces morceaux sur une plaque, et cuire à four très doux pendant 12 à 15 minutes, simplement pour sécher et colorer légèrement la meringue.
Un exquis mot
La définition de cette semaine est extraite de l’Encyclopédie méthodique. Dictionnaire de toutes les espèces de pêches (1795) de J. Lacombe.
Arbre à enivrer le poisson
sub. masc.
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Cet arbre tire son nom de l’effet singulier qu’il produit ; il croit aux Antilles et égale en grandeur le poirier ; les feuilles sont assez semblables à celles des pois communs, mais plus épaisses ; son bois est jaune et dur.
On prend l’écorce des racines de cet arbre ; on la pile, on la réduit comme du tan, on la met dans des bacs : quand on veut pêcher on met les bacs dans l’eau et on les agite ; toutes les particules d’écorces qui s’en détachent se répandent, et le poisson qui avale continuellement de l’eau pour en tirer sa nourriture et pour en extraire de l’air, est enivré par ces corpuscules ; il bondit sur les eaux, nage sur le dos, de côté et de travers, et vient se jeter sur le rivage en cherchant à fuir cette mer empoisonnée ; on prend alors facilement quantité de gros et de menu poisson et même des tortues.
Des nouvelles des petits fretins
Si vous aimez les œufs, vous pouvez trouver deux formidables petits livres sur ce sujet dans notre catalogue : Œuf intrépide et chair de poule et 250 manières pour apprêter les œufs.
Le mois d’avril s’annonce studieux chez menu Fretin puisque nous sommes en train de finaliser un beau livre sur le thon rouge de ligne de Méditerranée (encore du poisson), un essai sur la gastronomie française et un livre de recettes tellement original que je ne sais pas comment vous l’expliquer… Tout cela devrait paraitre avant l’été et promis, on vous en reparle très vite en détail.
À part cela, Laura nous a rejoint en stage. Elle sera parmi nous jusqu’au mois de juillet.
À noter également, que vous pourrez retrouver François Caribassa (l’auteur de Qu’est-ce que boire ?) le 14 avril à 18h30 à la librairie Charybde (Paris 12) lors d’un événement intitulé « Résinvolte : Science-fiction et vin naturel ».
A noter également que Valérie Vrinat sera demain samedi à La Table des bons vivants de Laurent Mariotte sur Europe1 (11h à 12h30) pour évoquer l‘Eloge du Service en salle. Tous à vos postes !
A propos de radio, vous pouvez toujours écouter un ou plusieurs épisodes de Radio Cuisine – podcast qui donne à réentendre les chroniques radiophoniques qu’Édouard de Pomiane présentait sur Radio Paris entre 1923 et 1929. Il y sera question demain des moules. Je ne saurais trop vous recommander d’écouter ou de réécouter l’épisode intitulé “Vendredi saint” parce qu’il est d’actualité et surtout parce qu’à mon sens il s’agit d’une des plus belles chroniques d’Édouard de Pomiane.
Pour finir une petite citation de Johann Wolfgang von Goethe (1749-1832) :
“Le grand public pense que les livres, comme les œufs, gagnent à être consommés frais. C’est pour cette raison qu’il choisit toujours la nouveauté.”
Ceci pour nous rappeler que si un œuf de 100 ans peut devenir un joyau,
il en est de même d’un livre…
Voilà, c’est tout pour aujourd’hui.
À la revoyure !
Laurent, poisson d’avril chez Menu Fretin