“Agroécologie”, “agriculture durable”, ces termes apparaissent en effet régulièrement dans le débat public. Mais souvent, personne ne sait trop ce qu’ils signifient et bien peu sont capables d’expliquer en quoi un modèle agricole peut-être considéré comme plus ou moins durable qu’un autre. Pour y voir plus clair, je vous propose d’étudier quelques points factuels qu’il me semble essentiel de prendre en compte.
Selon moi, pour être durable, une agriculture doit :
1 – Diminuer les émissions de gaz à effet de serre.
On le sait, l’agriculture est responsable de 19 % des émissions de GES en France en 2018 (source Haut Conseil pour le Climat cité par le Ministère de l’Agriculture). Les GES sont responsables du réchauffement climatique dont on ne peut aujourd’hui ignorer les conséquences.
2 – Réduire l’érosion des sols.
L’érosion des sols due à la pluie ou au vent est responsable de la perte de fertilité des sols puisque la part la plus fertile d’un sol se trouve en surface et que des pluies fortes ont tendance à lessiver le sol, entraînant les nutriments dans les cours d’eau. Si la fertilité d’un sol part dans un cours d’eau, il faudra augmenter la part de fertilisant pour continuer à produire. À noter également que la présence de pesticides dans les cours d’eau provient de cette même érosion des sols. Lorsqu’il n’y a pas d’érosion, ce qui est mis dans le champ reste dans le champ.
3 – Diminuer l’usage des pesticides.
Petite parenthèse : le mot “pesticide” ne veut rien dire, il convient davantage de parler d’herbicide (contre les adventices), d’insecticide contre les insectes ravageurs), de fongicide (contre les champignons). Petit rappel également : tous les modèles agricoles sans exception (y compris l’agriculture biologique) utilisent des pesticides, ceci à des fins de protection des cultures. Les pesticides sont à comparer aux médicaments. Il faut savoir les utiliser avec précision et parcimonie car comme les médicaments, un pesticide possède malheureusement des effets secondaires. C’est donc le rapport bénéfice/risque qui doit guider leur usage. Si aujourd’hui, aucune crise sanitaire liée à l’usage des pesticides n’a eu lieu, il n’en reste pas moins que ce sont des produits dangereux — sinon ils seraient inefficaces – et qu’il faut tendre vers une forte diminution de leur usage. Il est en revanche impossible de s’en passer complètement au risque de voir surgir de graves problèmes sanitaires.
4 – Protéger la biodiversité.
Depuis le sommet de Rio (1992), la préservation de la biodiversité est considérée comme un enjeu essentiel du développement durable. La notion même de biodiversité est complexe car elle comprend notamment de nombreux micro-organismes invisibles à l’œil nu. Tout y est toujours une question d’équilibre. Or, toutes les actions humaines modifient cet équilibre. Par exemple, l’installation de ruches souvent présentée comme un acte visant à favoriser la biodiversité n’en est pas un, car l’apiculture est une forme d’élevage qui va, par sa présence, influer sur l’écosystème existant avant son implantation. Et notamment sur les abeilles sauvages.
5 – Maintenir voire développer la productivité.
Ce dernier élément est assez rarement mis en avant lorsque l’on parle d’agriculture durable. Pourtant, alors que la population française (et mondiale) ne cesse d’augmenter, la surface agricole, elle, ne cesse de diminuer au profit de l’urbanisation. Pour permettre à chacun de se nourrir (690 millions de personnes ont souffert de la faim dans le monde en 2019 selon l’Unicef), il convient donc de maintenir une certaine productivité. La seule manière d’augmenter les surfaces agricoles étant de pratiquer la déforestation. Pratique assez peu durable avouons-le.
Maintenant que ces points sont sur la table, je vous propose de regarder les différents modèles agricoles qui se pratiquent en France pour rechercher si l’un d’eux serait plus durable que les autres.
Petit rappel avant de débuter. La surface agricole (SAU) représente 54 % du territoire en France ; 62 % de ces terres sont cultivées et 34 % sont des prairies. La moitié des terres arables sont utilisées pour produire des céréales. C’est seulement 2 % pour le maraîchage.
Pour juger de l’impact environnemental d’un modèle agricole, il convient donc de s’intéresser principalement à ceux qui produisent ce que l’on appelle des grandes cultures (céréales, oléagineux et protéagineux), soit 64 % des surfaces. Parler de maraîchage lorsque l’on parle d’agriculture ce n’est en évoquer qu’une très petite part. Pour rappel, ce sont les céréales : blé, maïs et riz qui constituent l’essentielle de la nourriture humaine dans le monde.
L’agriculture dite “conventionnelle”.
Elle est majoritaire en France. Elle est assez peu durable car sur nos 5 points, elle n’en réalise qu’un seul mieux que les autres : la productivité. C’est d’ailleurs ce qui a fait le succès de ce modèle, définit, au sortir de la Seconde Guerre mondiale à qui on a demandé de nourrir une population de plus en plus importante.
L’agriculture biologique.
Souvent présentée comme le modèle le plus vertueux, l’agriculture biologique est en réalité un modèle assez peu durable. En effet si l’interdiction de l’usage de pesticides chimiques est son cheval de bataille, il faut rappeler que l’agriculture biologique utilise des pesticides– naturels certes – mais dont certains sont considérés comme dangereux pour la faune aquatique notamment. Cependant, on peut lui accorder la première place dans ce domaine. Mais c’est surtout son usage intensif de la mécanisation qui pose problème. En effet, l’usage de la charrue (également utilisée en agriculture conventionnelle) détruit la vie du sol sur 30 cm, favorise fortement l’érosion de ce dernier et libère le carbone stocké. Deplus cette forte mécanisation augmente l’émission de GES. Dernier point, les rendements sont en moyenne divisés par 2, ce qui pose un risque de famine à long terme. À moins, bien sûr, de doubler la surface agricole par la déforestation…
L’agriculture de conservation des sols
Modèle encore confidentiel médiatiquement, mais en fort développement, il consiste à ne plus labourer les champs et à avoir une couverture permanente des sols afin d’en augmenter la matière organique. L’ACS permet d’obtenir des rendements pratiquement identiques à l’agriculture conventionnelle, de stocker du carbone dans les sols (davantage que les forêts). Ceci permettant de réduire fortement les émission de GES. La couverture permanente des sols permet de contenir fortement l’érosion des sols mais également de diminuer les besoins en eau des cultures. L’ACS est également associée à une forte rotation des cultures. Ceci ajouté à la présence permanente de couvert, du non-labour, favorise la biodiversité. Seul bémol, aujourd’hui l’ACS utilise toujours des pesticides (et notamment du glyphosate, même si ce dernier vient d’être définitivement considéré comme non cancérigène) à des doses de plus en plus faibles au fur et à mesure de son développement.
En conclusion, il apparaît clairement qu’en matière de durabilité, l’agriculture biologique ne fait guère mieux que l’agriculture conventionnelle et qu’un modèle beaucoup plus vertueux existe. Reste à faire en sorte que l’agriculture de conservation des sols se développe afin que les objectifs – et notamment ceux concernant la diminution des gaz à effet de serre et du réchauffement climatique – soient tenus.
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“Si je suis un sot, on me tolère ;
si j’ai raison, on m’injurie.”
Johann Wolfgang von Goethe (1749-1832)