Qui est Édouard de Pomiane ?

À la fois médecin, animateur radio, cuisinier et bon vivant, Edouard de Pomiane a su combiner sa passion pour la gastronomie avec son intérêt pour la science. Né en 1875 de parents polonais, il a publié durant le XXème siècle des livres de cuisine et des essais qui ont fait sa réputation en France et à l’étranger. L’un de ses titres les plus connus, La cuisine en 10 minutes ou l’Adaptation au rythme moderne, un livre de recette publié en 1930 qu’il dédie à « l’étudiant, à la midinette, à l’employé, à l’artiste, au paresseux, au poète, à l’homme d’action, à tous ceux qui ne disposent que d’une heure pour déjeuner  et qui veulent avoir, quand même, une demi-heure de liberté  », incarne bien l’esprit moderne de cet auteur. Dans un article de L’Obs, Anna Topaloff le qualifie de « tout premier foodie » et d’« Epicurien », l’inscrivant ainsi à la fois dans une mode actuelle et une philosophie Antique : il s’inspire de la tradition pour cuisinier au mieux dans le monde moderne. 

Un scientifique amoureux de la cuisine

Ce sont à la fois les sujets de ses livres et le ton complice et irrévérencieux qu’il y emploie qui en font toute la saveur. Ce qui frappe en lisant ses textes, c’est la réflexion derrière leur contenu qui n’est pas sans rappeler de nombreux blogs de cuisine actuels (manger bien, manger facile, mais aussi manger bon, à l’encontre des régimes austères : « oubliez-vous que la cuisine est l’antichambre du bonheur? » demande-t-il dans Vingt plats qui donnent la goutte, hommage aux repas gargantuesques).

Tout ceci nous est communiqué avec un entrain joueur, dans une langue familière, si naturelle qu’on entendrait presque la voix de l’auteur nous parvenir à travers les décennies. Ce charme tout particulier lui vaut une admiration très intense à l’étranger, où la faible quantité de traductions disponibles ne fait qu’attiser le désir de mettre la main sur plus d’écrits d’Edouard de Pomiane (comme le souligne le titre évocateur de l’article publié dans le journal américain Gastronomica, « Desperately Seeking Edouard: A Passion for de Pomiane » dans lequel Margaret Arthur décrit de manière théâtrale sa quête amoureuse pour plus de contenu sur de Pomiane).

Face à l’image de la cuisine française à l’étranger, où on s’y représente de grands chefs parisiens aux recettes complexes et inaccessibles, c’est peut-être le contraste offert par la cuisine de la vie quotidienne abordée joyeusement par de Pomiane (ainsi que sa fabuleuse moustache) qui plait autant. Julian Barnes, dans The Guardian, fait remarquer l’humour et le réconfort apporté par de Pomiane dans ses recettes : « Following Edouard de Pomiane’s recipes is bound to keep depression at bay » (« suivre les recettes d’Edouard de Pomiane est une manière sûre de chasser la dépression »).  

Crédits : Collection privée Hélène de Tovar

Edouard Pozerski, médecin avant-gardiste 

C’est sous son patronyme polonais (Pozerski) qu’Edouard de Pomiane devient enseignant-chercheur à l’Institut Pasteur. Ses recherches portent notamment sur la système digestif. Dès les années 20, il pense la valeur de la nourriture au-delà du plaisir gustatif et invente la « gastrotechnie », une science physique et chimique qui étudie les propriétés diététiques et les transformations chimiques que subissent les ingrédients lors de leur préparation. On considère cette science comme l’ancêtre de la cuisine moléculaire.

Il se mit à dos nombre d’amateurs de gastronomie française en soulignant que certaines de ses recettes étaient mauvaises à la santé. Il allait aussi à l’encontre de ses collègues médecins, en affirmant haut et fort qu’il n’est pas nécessaire de manger de la viande ou du poisson tous les jours (une position révolutionnaire à l’époque, bien qu’elle soit défendue par nos diététiciens aujourd’hui).

Même si ses travaux secouent les connaissances scientifiques et les croyances populaires du début de XXème siècle, sa carrière de scientifique est loin d’être sans succès : il fut à la direction du laboratoire de physiologie alimentaire de l’Institut Pasteur, membre de la Société de biologie, professeur bénévole de bactériologie à l’Hôpital-Ecole Edith Clavet, et ses articles furent publiés dans des revues de médecine de premier ordre.

Dès 1950, il fut également membre du comité d’honneur de la Société d’encouragement et d’éducation Arts – Sciences – Lettres, dont faisaient également partie Louis Pasteur et Gaston Ramon. Il restera très lié à l’Institut Pasteur, où il continuera à donner des conférences et à effectuer des visites guidées même après sa retraite de son poste de chef de service. 

L’amour de la nourriture : héritage multiculturel et débuts d’analyse sociologique

Malgré l’oeil scientifique qu’il porte sur la nourriture, ou plutôt en partie grâce à ce regard, son amour pour la cuisine et tout ce qu’elle incarne ressort de ses textes : « elle satisfait notre psychisme en frappant nos sens. » Pour lui, ce n’est pas juste un sujet d’étude scientifique mais aussi un art dont l’aspect visuel et gustatif sont essentiels.

Le contexte dans lequel il a vécu (un maigre salaire en tant que médecin aide-major à l’armée pendant la première guerre mondiale, puis la rareté des ressources durant l’occupation allemande, années sombres illustrées par son livre Cuisine et restrictions de 1940) le mènent à prendre en compte les contraintes financières et matérielles de la cuisine dans ses recettes. Pour lui tout comme pour ses lecteurs, il s’agit de parvenir à se régaler avec peu de moyens.

C’est aussi son contexte familial qui l’amène à apprécier la cuisine :  il constate le fort pouvoir émotionnel des plats polonais sur ses parents, qui ont immigré en France alors qu’Edouard n’était pas encore né. Cet héritage franco-polonais, il en est fier et le revendique, y compris en gastronomie (La cuisine polonaise vue des bords de Seine, 1952).

À la radio, il se souvient : « j’ai compris que, dans ce qu’on mange, on peut trouver non seulement un aliment, mais encore du sentiment, de la poésie… Mon papa me disait qu’un plat national, c’est une communion ». Il perçoit le poids culturel de la cuisine et souligne la notion de partage à la fois tangible et intangible dans la transmission des recettes.

C’est pourquoi ses livres de cuisine sont parcourus d’anecdotes familiales et locales, ainsi que de dialogues qui peuvent aussi bien être un souvenir de celui ou celle qui lui a transmis la recette que la conversation qu’il engage avec le lecteur. Ce sont donc à la fois des détails amusants et la trace de vies éteintes depuis des décennies qui s’inscrivent dans les pages d’Edouard de Pomiane.

Des qualités d’animateur dignes de La Cuisine de Maïté

L’humour et la fluidité des textes d’Edouard de Pomiane font ressortir son talent de conteur, talent qu’il met à l’œuvre également à l’oral en animant des chroniques et des cours. En effet, il fut le premier chroniqueur gastronomique à la radio, avec son émission Radio cuisine diffusée sur l’antenne de Radio Paris tous les vendredi soirs : « Monsieur Babylas, vous ne savez pas faire la cuisine ; vous êtes clown. Mais, tenez, voici le professeur, le docteur Edouard de Pomiane, que j’ai invité à venir ici. Il va vous apprendre à faire cuire un beefsteak. »

Il animera ainsi cette émission de 1923 à 1929, offrant alternativement des recettes, des conseils sur le comportement à adopter dans diverses situations de dîner, et de la vulgarisation de gastrotechnie. Ses chroniques ne manquent pas de poésie, et comme toujours il s’adresse à son auditeur en ami. Il fit également des milliers de conférences et donna des cours de cuisine. Dans chaque aspect de sa vie, Edouard de Pomiane mit l’accent sur la transmission du savoir et le plaisir de savoir-faire.

Crédits : Collection privée Hélène de Tovar

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